Nuka Chapitre 1

CHAPITRE 1 - AVATAR KOLEN

«Nuka! Concentre-toi! Recommence.»

La jeune fille pinça les lèvres d'un air agacé. Elle se remit en position, les jambes fléchies, le pied droit avancé. Nuka étira les bras et ferma les yeux. Elle devait oublier le soleil couchant sur la banquise, les cri des pingouins otaries, le ciel magnifique au dessus de leur tête. Elle devait oublier la frustration de l'échec subi à répétition tout l'après-midi. La jeune maître de l'eau tenta de faire le vide en elle et pour ce faire, utilisa sa technique favorite: penser ou s'imaginer la lune, sa guide spirituelle. Cette fois, même la vision de cet astre bien aimé ne suffisait pas. Sentant la vague lui filer entre les doigts une nouvelle fois, Nuka jeta ce qui en restait sur la glace à ses pieds d'un grand mouvement du revers de la main. Elle lâcha un cri de colère.

-Ah! J'abandonne! Je perds mon temps!

Karoh, son maître, s'approcha d'elle, l'air mécontent.

-Nuka, tu n'es pas concentrée! s'énerva-t-il.

Sa voix de ténor se répercurta sur la banquise et son écho s'envola au loin. Le grand maître de l'eau avait suivi son élève impertinente tout l'après-midi. Il avait enduré ses crises, ses frustrations, ses mots durs. Il sentait sa patience s'égrainer. Nuka se retourna furieusement vers son maître et oncle.

-Je n'y arrive pas. Je n'y arriverai jamais. Laisse-moi donc tranquille!

Sur ce, Nuka récupéra son sac et s'enfuit vers le village. Karoh, laissé seul près de la mer grise et glaciale soupira longuement, ressentant sa propre fureur courir le long de sa colonne vertébrale. Le vieil homme laissa son regard errer au loin au moment, dans le but de se calmer. Le vieux maître n'avait pas la réputation de s'énerver très souvent. Cette enfant, pourtant, ressortait le plus fragile de lui. Karoh connaissait bien la raison de cette faiblesse. Nuka consistait en sa seule famille. Il se sentait responsable de ses actions et de ses échecs. Que faire alors lorsque l'adolescente n'en faisait qu'à sa tête et refusait de s'ouvrir à qui que ce soit? Soudainement épuisé, Karoh suivit les pas de sa jeune nièce. Malgré ses cheveux de neige, il se tenait toujours droit et fort. Béni d'une carrure impressionnante, d'une voix qui imposait le respect et d'un regard de glace qui pétrifiait quiconque s'opposait à lui, le maître avait taillé sa place au sein son village et avait succédé à son frère en tant que chef. Depuis ce jour, Karoh servait sa communauté avec bonté et dévouement. Tous l'appréciaient et le respectaient. Tous sauf peut-être Nuka elle-même.

Nuka s'était réfugiée dans la hutte qu'elle partageait avec son oncle et une vieille femme nomme Han. Celle-ci s'occupait des deux autres, leur préparant les repas et s'occupant de la demeure. Dans sa chambre, délimitée simplement par un dome dans la voûte de la tente géante et fermé avec des peaux d'animaux, elle se jeta sur son lit, un amas de fourrures bien chaudes. Elle y resta un moment étendue, le visage enfoui dans son épaisse chevelure brune à ressasser sa frustration. Pour elle, son oncle n'essayait pas de la comprendre. Depuis des années, elle essayait de le convaincre de l'emmener voyager, comme il le faisait dans sa jeunesse. Nuka refusait de voir le poids des responsabilités qui pesait sur les épaules de Karoh. En tant que chef, il ne pourrait jamais quitter son village sans raison valable. Et jamais il ne pourrait laisser Nuka partir seule. La jeune fille n'était pas prête. Elle avait encore beaucoup à apprendre de son art de maîtriser l'eau, malgré son incroyable talent. Depuis quelques temps, la jeune fille éprouvait beaucoup de difficultés à l'entraînement. Habituée d'apprendre avec facilité, Nuka prenait mal cette mauvaise passe.

Nuka fit semblant de ne pas entendre son oncle l'appeler en entrant dans la hutte. Elle se glissa sous ses fourrures et prétendit dormir. Lorsque Karoh repoussa les peaux délimitant son espace, il ne se laissa pas berner.

-Nuka, nous n'avons pas terminé.

-Si. Moi, j'ai finit.

Le vieil homme soupira. Il s'assit sur le lit près de sa nièce.

-Pourquoi te décourages-tu? Tu manques de concentration. Si tu mettais réellement des efforts dans ce que tu faisais...

Piquée à vif, la jeune fille se releva pour braquer un regard noir sur son aîné.

-Tu penses que je n'essaies pas? s'écria-t-elle.

Énervée et blessée, la jeune fille s'empara de la neige sur le sol grâce aux mouvements fluides de ses bras et la jeta de toute ses forces sur Karoh qui, prit de surprise, alla s'écraser plusieurs mètres plus loin, au centre de la hutte, arrachant au passage les peaux protégeant l'alvéole privée de Nuka. D'un geste furieux, elle les attrapa et les remit en place. Karoh se releva péniblement, les os douloureux. Il n'avait plus la patience de jongler avec les sautes d'humeur de sa nièce. Il décida de la laisser tranquille pour la nuit.

Han, de retour de la pêche, et Karoh, partagèrent donc leur repas seuls. Malgré son ventre qui grognait, Nuka refusa de sortir de sa cachette. Elle resta étendue dans ses fourrures un long moment, même après que le silence fut retombé sur la hutte. La jeune fille, ne trouvant pas le sommeil, s'extirpa de la chaleur des peaux de bêtes et se glissa à l'extérieur dans le froid polaire.

Nuka erra un long moment sur la banquise avant de birfurquer vers son endroit de méditation favori: la crête enneigée. Cette falaise abrupte au sommet plat restait coupée du monde. Seuls les maîtres des éléments pouvaient y accéder. Nuka l'avait découverte lors d'une partie de chasse en compagnie de ses amis. Depuis, elle venait y prier. L'adolescente créa un tourbillon d'eau qui l'expulsa en douceur jusqu'à sa cachette. Elle se laissa tomber dans la neige épaisse et admira la vue magnifique de son village et de la mer. Encore une fois, cette vision lui coupa le souffle. Elle se surprit à s'imaginer s'envoler loin de cet endroit et de ses êtres chers pour parcourir le monde. Depuis quelques mois, cette idée l'obsédait tant qu'elle affectait sa relation avec l'eau. Nuka ne pouvait en parler à son oncle, sachant ce sujet trop sensible. Alors elle s'acharnait à l'entraînement. Sans succès. Le regard fixé sur la lune, Nuka réalisa qu'elle avait fait souffrir son Karoh ces derniers temps. Le pauvre homme n'était pas responsable de ce qui lui arrivait. Se sentant perdue et honteuse, la jeune fille s'autorisa quelques larmes. Elle se décida aussi à s'excuser le lendemain.

-Merci, esprit de la Lune, de me guider nuit après nuit, remercia Nuka avant de retourner dans le confort de ses fourrures.

Cette fois, le sommeil eu raison d'elle rapidement.


Nuka s'éveilla dans un tout nouvel état d'esprit. Elle s'habilla rapidement et avaler du poisson laissé de la veille avant de courir vers la banquise où l'attendait probablement Karoh. En effet, elle pu rapidement appercevoir sa silhouette impressionnante. Arrivée à sa hauteur, elle se jeta à genoux devant lui.

-Pardonne-moi mon oncle. Je suis une bienne piètre élève de ne pas écouter les apprentissages de mon professeur. J'accepterai toutes les conséquences de mon comportement d'hier et des dernières semaines... Seulement... Ne me renvoies pas...

Karoh observa sa nièce avec surprise et joie. Il ferma les yeux quelques instants, savourant ses excuses délicieuses.

-Relève-toi jeune impertinente, ordonna-t-il d'un ton autoritaire.

Nuka obéit aussitôt, le coeur battant à la chamade. Et si son oncle ne lui pardonnait jamais l'attaque de la veille au soir?

-Je ne te manquerai plus jamais de respect et...

Le vieil homme l'interrompit d'un geste de la main.

-Assez jeune fille. Tu es pardonnée. À condition que je te vois travailler dur et ce, sans réchigner. N'oublie surtout pas ta concentration. Maintenant montre-moi ce mouvement d'hier. Nous ne quitterons pas cette banquise tant que tu ne l'auras pas réussi!

Nuka s'exerça toute la matinée. Au bout de ses longues heures de travail acharné, elle se sentait épuisée, mais triomphante. Elle était parvnue à effectuer ce mouvement complexe. Karoh la félicita.

-Tu vois ma nièce, tu peux arriver à tout ce que tu aspires, pourvu que tu gardes ton but en vue. Je n'aime pas te voir te décourager.

Nuka étreignis son oncle, reconnaissante. L'oncle profita de l'un de ses rares bouffées d'affection et le serra en retour. «Comme elle me rappelle son défunt père, mon bien aimé frère» pensa le vieil homme avec un sourire triste. Karoh repoussa gentillement la jeune fille et planta son regard dans le sien. Il la considéra ensuite de la tête au pieds. Du haut de ses seize ans, Nuka avait tout pour plaire à un homme: la belle chevelure brune, les traits fins et les grands yeux bleus de son oncle. Elle était plutôt grande, bien bâtie et solide, tout en ayant des courbes attirantes. Karoh devait redoubler d'efforts pour éloigner ses prétendants. Heureusement pour lui, sa nièce y arrivait aussi très bien seule. Son caractère farouche suffisait à tenir les garçons à distance.

-Tu devrais profiter de ce magnifique après-midi pour aller pêcher avec Han ou chasser avec tes amis. Tu as assez travaillé pour aujourd'hui.

Le regard de Nuka s'éclaira.

-Merci, maître.

Alors qu'elle se retournait vers le village, elle aperçu un groupe de guerriers venant à leur rencontre. Curieuse de connaître la raison de leur visite à leur chef, elle décida de rester et d'entendre ce qu'ils avaient à dire. Le leader de la bande se détacha du troupeau et vint directement vers Karoh.

-Chef Karoh, un bâteau se dirige par ici, expliqua-t-il.

-Des vendeurs d'esclave de la Nation du Feu? proposa le chef en gardant son sang froid.

Nuka sentit le sang se figer dans ses veines, puis se mettre à bouillir. Elle attendait le retour de ses brutes depuis quatre longues années. L'heure de sa vengeance avait sonnée.

-Non, il semblerait qu'il s'agisse de l'avatar et de son escorte, monsieur.

Karoh haussa un sourcil, surpris par cette affirmation.

-Très bien. Allons l'accueillir comme il se doit.

Karoh et Nuka suivirent les guerriers en direction du port. La jeune fille ne prit pas beaucoup de temps à se raidir.

-Mon oncle, ce bateau est rempli de maîtres du feu, fit-elle nerveusement.

-Ces gens sont venus avec l'avatar, tu n'as rien à craindre d'eux.

-Rien à craindre? Ces gens sont des assassins! Ils ne sont pas la bienvenue ici!

-Nuka, pas tous les Fils du Feu sont ainsi. Ne mélange pas les choses.

Excédée, la jeune fille s'éclipsa lorsque son oncle ne regardait pas. Karoh, préoccupé par cette visite inattendue, ne remarqua pas son absence.

Ses yeux étaient rivés sur le grand navire à voiles aux couleurs de la Nation du Feu qui s'approchait paresseusement. Sur le pont, l'équipage s'activait afin d'amarrer le navire. L'encre fut jetée à l'eau et les canots descendus, avec à bord, l'avatar et ses hommes. Karoh surveillait leurs moindres mouvements avec grande attention. Sa nièce avait eu tort de penser que ces gens leurs voulaient du mal. L'escorte de l'avatar était consituée d'hommes bien bâtis, certes, mais pas armés. Le nombre de guerriers et de maîtres de l'eau venus sur les berges les accueillir surpassait de loin celui des leurs. Nuka, qui s'était réfugiée dans la foule afin de mieux apercevoir les nouveaux venus su immédiatement que les hommes de l'avatar n'étaient pas aussi inoffensifs qu'ils ne le paraissaient. Tous savaient maîtriser le feu, sauf une seule âme parmi le groupe. La jeune fille fut bien surprise de retrouver un maître de l'air dans leurs rangs, mais l'ignora bien assez tôt. Dès son plus jeune âge, Nuka savait repérer les maîtres des éléments et les identifier entre eux. Ce don unique ne lui avait pas beaucoup servi durant sa vie jusqu'à présent. Mais elle se sentait plus forte de connaître leur vraie nature avant tout le monde.

Dans le premier canot, qui fendait les vagues à vive allure, l'avatar Kolen observait avec appréhension la banquise grossir devant lui.

[À SUIVRE]